Saturday, March 12, 2016

L'État Prétexte

Par Gary Victor

Pierre Clitandre dans notre dernier éditorial a parlé avec raison de cet État sur lequel la théorie et les intellectuels se taisent (http://www.haiticonnexion.net/#!o-se-cachent-nos-intellectuels/c5iy). On se tait en vérité sur la nature de cet État surtout quand on se sert des modèles ordinaires pour le comprendre. Quelques penseurs ont effleuré la vérité, mais sans aller trop loin par peur peut-être de brasser une boue qui pourrait emporter toute une société. Car plus on essaie d’analyser cet État en restant fidèle à l’observation des faits réels, et surtout en tenant compte des vrais mobiles et motivations des principaux acteurs aux commandes, on est étonné de découvrir quelque chose qui échappe à tout modèle préétabli et qui serait presque du domaine de la fiction littéraire ou du burlesque tout simplement.

L’État ici est une sorte de prétexte, une façade, dont l’objectif est de drainer les ressources de la nation vers des espaces bien définis. 


Chaque activité, chaque projet, chaque attitude sont des prétextes pour arriver à cet objectif. Bien des luttes prétendument contre cet État ont été des mécanismes de régulation devant apporter un sang neuf, un nouveau personnel à la machine broyant la nation. Comme le prétexte doit signifier, représenter quelque chose, c’est-à-dire donner un semblant de preuves de réalisations pour permettre au mécanisme de fonctionner, la nation tire quelque chose des miettes et subsistent difficilement avec. Dans ce jeu de l’État prétexte, il faut soigner en particulier l’interface avec l’étranger, source de revenus importants. Ici, on peut faire semblant d’accepter une certaine modernité, d’être en accord avec certains concepts. Les tenants de cet État sont devenus de bons comédiens à ce jeu du faire semblant. L’étranger se perd souvent dans ce jeu de l’État prétexte où, sinon, il s’y trouve bien, car finalement il en sort toujours gagnant, surtout qu’en final il pense trouver des arguments pour démontrer que ce peuple manque un chromosome et que les Haïtiens ne peuvent aller nulle part sinon végéter dans ce chaos.

La politique dans tous les pays est un espace où des acteurs avec des intérêts différents essaient de trouver des consensus autour de points de vue différents. Les citoyens sanctionnent les débats, les projets avec leurs bulletins de vote. La lutte peut être rude, sans pitié même, mais elle reste pacifique, car chacun respecte des règles établies pour la concorde au sein de la nation. Plus que cela, tout un chacun s’entend sur un minimum ayant trait toujours à la défense et au progrès du pays.

Chez nous, pour l’instant nous sommes toujours au stade de la lutte entre des chefs de bandes, bandes pouvant se disloquer facilement suivant de copieuses offres financières. La partie se joue en partie à huis clos le peuple maintenu à distance, spectateur nécessaire pour l’étalage des privilèges sans lesquels le chef ne se sent pas chef. L’intérêt de la nation, son futur, ne concerne pas lesdits dirigeants.

Un peuple surtout victime de cette corruption qui fauche quotidiennement cette nation ! Un peuple détruit, pourri par l’exemple donné par ceux qui au lieu d’être les gardiens du troupeau en sont toujours les loups, si bien que de nombreux citoyens ne rêvent que de venir chevaucher le monstre, l’État prétexte. C’est finalement le triomphe du « sétoupamisme » dans toute sa splendeur. « Se tou pa m ». À mon tour maintenant ! 

Dans un tel contexte, on comprend comment il est difficile d’organiser des élections libres ce qui signifierait la disparition d’une grande partie de cette classe politique et de leurs alliés qui depuis quelques décennies mènent ce jeu absurde et destructeur.

Gary VICTOR

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